Chapitre 1.



« Tu ne veux pas que je reste , tu es sûre ? » dit Willow , plissant un front soucieux.

Elle se rapprocha , passa un bras autour des épaules de son amie. Buffy demeura silencieuse , perdue dans la contemplation de la ville dont les petites lumières peu à peu apparaissaient . Les parfums des hibiscus et du jasmin qui ornaient la terrasse répandaient leur odeur puissante , rehaussée par la tiédeur de l’air.
La splendeur de cette douce nuit d’été californienne paraissait une ironie , alors qu’elle éprouvait une mélancolie insidieuse.

« Tara , tu ne crois pas qu’on pourrait la persuader de revenir avec nous ? » reprit Willow en se tournant vers sa compagne.

Puis , sans attendre de réponse , elle s’adressa de nouveau à la jeune femme blonde , dont la silhouette mince s’appuyait au montant de bois du balcon.

« J’ai envie d’être seule , Willow. » répondit Buffy d’un ton égal.


Le calme de sa voix s’harmonisait avec la sérénité apparente de son visage pâle, dont la pureté était rehaussée par les cheveux tirés en arrière dans une queue de cheval stricte , et le vert limpide de ses yeux que ne marquait aucune trace de maquillage.

Willow et Tara échangèrent un regard impuissant. Cette dernière , assise sur un petit banc appuyé au mur , dévisagea leur amie. Elle était si mince , et paraissait fragile dans cette robe claire et simple , qui accentuait doucement sa féminité. Elle semblait plongée dans une réflexion triste , depuis le début de la soirée. Mais cette fragilité apparente cachait un tempérament décidé , et il ne devait s’agir là que d’un abattement passager.
Après avoir cherché une explication au fait que le jeune femme semblait particulièrement morose , alors qu’elles étaient là pour fêter la fin de plusieurs semaines de vacances passées sous le signe de la détente absolue , ainsi que le succès d’une année scolaire pour toutes les trois , à l’Université de Sunnydale , Willow s’était rappelé que , un peu plus d’un an auparavant , au retour d’une fête ressemblant trait pour trait à celle qu’elles venaient d’avoir , leur amie avait découvert la lettre d’Angel annonçant son départ.


Mais Tara savait combien Buffy était forte et déterminée, et malgré une dernière année écoulée dans un état d’esprit plutôt pessimiste ,- car Il était clair que l’abandon d’Angel avait infligé une très cruelle blessure- , leur amie était la plupart du temps d’humeur égale.



Après avoir vécu une relation amoureuse pendant trois ans , Angel avait apparemment décidé qu'il était temps pour lui de connaître la vie excitante de Los Angeles.
Il y avait eu quelques discussions vives au sein du couple , et Buffy refusait de croire qu’il veuille chercher des satisfactions différentes de celles qu’ils partageaient.

Ils ne vivaient pas ensemble . Elle était sur le campus de l’Université de Sunnydale , et il possédait son appartement , où ils passaient beaucoup de temps. Et cela était un des reproches qu’elle avait osé lui faire, se rappela t –elle amèrement. Après une période où ils avaient appris à s’apprécier , n’était –il pas légitime qu’ils songent à la vie commune ?
Elle avait eu 21 ans , elle terminait sa troisième année d’études pour enseigner les disciplines de gymnastique , il était un jeune avocat prometteur de 25 ans ..
Mais elle avait commencé à croire que leurs fiançailles n’avaient pas beaucoup de signification pour lui.
Son regard devenait distant chaque fois qu’elle évoquait leur vie commune. Il avait expliqué que l’atmosphère dans l’étude où il était avocat auprès de son père , était peu à peu devenue intenable.

Et quelques jours plus tard , une longue lettre expliquant son geste attendait Buffy.
Elle avait appris plus tard que Darla , une jeune femme travaillant également au cabinet d’avocats , avait donné sa démission.

Un an après , elle réalisait que la blessure n’était pas entièrement guérie. Mais Tara et Willow soupçonnaient que la douleur avait peut-être plus à voir avec l’orgueil et la confiance blessés , plus que l’amour trahi.



« Je n’aime pas t’imaginer toute seule ici , broyant du noir. On peut toujours se débrouiller , et installer un matelas par terre , » reprit la jeune femme rousse . « Ou bien on peut dormir chez toi ! ne serait- ce pas plus logique , puisque c’est toi l’heureuse locataire de ce charmant appartement ? »

Sa voix avait pris des intonations enjouées dont Buffy ne fut pas dupe. Et Tara se leva , et vint poser une main sur le dos de sa douce compagne.

« Willow, »
Celle-ci tourna des yeux surpris. Tara utilisait si rarement ce nom un peu autoritaire , mais il était indéniable qu’elle voulait être écoutée. « Nous ferions mieux d’y aller. Il est tard , et nous avons toutes besoin d’une bonne nuit de sommeil. »

« Mais.. »

Willow regarda Buffy , puis Tara.

« Tu nous téléphones demain ,n’est-ce pas ? » demanda t- elle. « Tu as des projets pour le week-end ? »

« Non, » dit Buffy avec un petit sourire. « Mais ne t’inquiète pas. C’est une baisse de morale très passagère. »


Elle hocha la tête , et toutes trois quittèrent la terrasse .


Tara prit la main de Willow dans la sienne , et elles se dirigèrent vers la porte d’entrée. Willow gardait un air préoccupé. Buffy les embrassa chacune sur les joues , en assurant qu’elle allait bien.



Après leur départ , elle ferma la porte et exhala un soupir de soulagement. Elle laissa un instant ses épaules s’affaisser , et se reprit , se redressa , et passa dans son petit salon.

Elle avait emménagé seulement un mois auparavant , après avoir passée quatre années sur le campus. Sa mère l’aidait à payer le loyer , et quand elle avait appris qu’elle aurait un poste d’assistante en gymnastique et entraînement rythmique au lycée de Sunnydale dès la rentrée prochaine , elle avait eu envie d’avoir un petit logement à elle.
C’était peu spacieux , mais très joliment agencé. Une cuisine , un salon en L , pièce la plus agréable avec sa terrasse plein Sud , et une chambre avec salle de bain , formaient l’ensemble.
Elle n’était pas loin de la maison familiale , et serait même en mesure d’aller à pied au lycée.

Elle retourna s’asseoir dehors , savourant la tiédeur parfumée de l’air.


Angel..
Comment aurait-elle pu expliqué à ses amies la confusion qu’elle ressentait , un an après son départ ?
Elle avait voulu croire en leur amour. Ils avaient eu des moments de si tendre complicité.. mais jamais elle n’avait atteint ce point de vertige..

Ce sentiment vivifiant et terrible de se perdre dans le regard de l’autre..

Ce désir fou de ne plus faire attention aux limites..

Tout ce qu’elle avait goûté avec..




Elle avait été si naïve. Si arrogante.
Mais peut-être n’était -elle pas digne d’être aimée ?

Angel l’avait quittée . L’avoir aimé prenait des aspects si douloureux.


Elle prit place sur le large fauteuil qui occupait la partie droite du balcon, et , les jambes repliées , la nuque appuyée au coussin , repensa à l’année qui venait de s’écouler.


Angel lui avait volé sa confiance en elle. Et ce n’était pas par son aventure sans saveur avec le jeune maître assistant de psychologie , Riley Finn , qu’elle allait recommencer à croire qu’elle pouvait briser les cœurs , comme au temps de ses dix sept ans. ..


Quand elle résolut à aller se coucher , il était plus de minuit , et se retrouva engourdie d’être restée si longtemps dans la même position dans le fauteuil d’osier. Mais le lendemain on était Samedi , et elle aurait tout le loisir de dormir.
Sa dernière pensée fut pour sa mère. Elle avait promis à Joyce qu’elle passerait la voir à la galerie , car elles s’étaient à peine vues depuis quelques semaines. Elle s’efforcerait de montrer une figure enjouée. Joyce se débrouillait toujours pour savoir si sa fille mentait...





La sonnerie de la porte d’entrée retentissait. Buffy grogna et enfouit son visage sous son bras. Il n’était pas tard , et elle n’attendait personne. Qui pouvait oser la déranger à .. huit heures du matin ? Elle n’avait pas l’intention de répondre.

La sonnerie retentit de nouveau , brève , péremptoire.


Buffy attendait , complètement réveillée. Puis elle bondit , et , retirant son déshabillé de soie marine d’un geste brusque du dossier de la chaise devant sa coiffeuse , marcha d’un pas vif vers l’entrée.

‘Si c’est une erreur , ou je ne sais quelle plaisanterie de..’ fulmina t –elle. Elle allait arriver dans le hall , quand le coup de sonnette suivant fut prolongé , impatient.

Elle resserra les pans de son vêtement autour de sa taille fine et déverrouilla la porte , qu’elle ouvrit à toute volée.

« Allez au diable , qui que vous soyez ! » dit-elle d’une voix cassante , qui s’arrêta nette quand elle reconnut celui qui se tenait sur le seuil.



Il se tenait appuyé au montant , dans une pose à la fois nonchalante et sur le qui vive , qui n’appartenait qu’à lui. Il n’était pas de grande taille , mais la puissance qu’il dégageait donnait l’impression d’occuper tout l’espace. Ses cheveux étaient d’un blond outrageusement clair, et cela lui conférait une séduction plus dangereuse.

Vêtu d’un jean et d’un tee-shirt noir qui moulait son torse comme une seconde peau , il avait enfoncé une main dans une poche , et l’autre main restait souplement le long de sa cuisse.

Dans cette attitude ,il avait les épaules projetées en avant ,si bien que , lorsqu’elle ouvrit la porte , il lui parut se pencher vers elle d’un air menaçant.

L’impression était encore renforcée par l’expression de son visage sombre. Il avait une mâchoire carrée , à la ligne dure , une bouche sensuelle qui était fermée dans un pli arrogant , et ses sourcils plus foncés , au dessus des yeux qui n’avaient rien perdu de leur éclat bleu éblouissant , et qui lui donnèrent aussitôt des frissons violents.


Sans rien dire , il se redressa et regarda la jeune femme , au corps drapé de soie marine , au visage pur et clair : un regard pénétrant , presque provocateur.


Pourtant il n’y avait là aucune insolence délibérée, simplement la calme certitude qu’il avait le droit de la dévisager ainsi , et qu’elle le savait.
Elle redressa le menton et ses yeux devinrent d’ un vert vibrant, somptueux.

« William, » dit-elle d’une voix sans timbre.

« Spike » , dit-il en faisant un mouvement qui la surprit.
D’instinct elle recula , le laissa entrer.


Et il entrait chez elle comme s’il en avait le droit. Comme s’il n’attendait pas qu’elle l’en empêche.


Elle tressaillit à peine en découvrant que sa voix profonde , aux intonations un peu râpeuse , n’avait pas changé en quatre ans et demi. Et ne réagit pas à l’écoute de ce nom bizarre , par lequel il semblait vouloir se faire appeler.
Il détacha du battant la main de Buffy , le referma tranquillement derrière lui.

Elle aurait dû être furieuse : jamais elle n’avait accordé à William Kensinton les droits qu’ils s’arrogeait. Elle lui avait même fait comprendre qu’elle ne les lui accorderait jamais.

« Tu es pâle, » dit-il simplement , comme s’il l’avait quittée la veille.

« Oui. »

Ils se tenaient prés l’un de l’autre. Elle avait du mal à croire à la réalité de sa présence ici , chez elle. Mais avec William , les politesses ordinaires ne possédaient aucun sens.
Il en avait toujours été ainsi. Ils n’avaient jamais vraiment parlé. Ils avaient échangé des mots qui flottaient entre eux comme des poignards effilés.

Et ils avaient échangés les baisers les plus désespérés.
Elle avait goûté à la chaleur de sa bouche. Il avait écrasé ses gémissements sous son corps .


Tout à coup , l’énormité de la situation la prit à la gorge , et elle fit un immense effort sur elle-même pour ne pas se trahir. IL l’enveloppa d’un regard pensif , détaillé , qu’elle accepta sans fléchir.

Il se détourna brutalement et se dirigea vers le salon. Elle le suivit , nota qu’il regardait autour de lui , puis elle croisa les bras sous sa poitrine.

Le soleil pénétrait dans la pièce par les espaces des stores. Il semblait fasciné par le jeu de la lumière dans ses mèches blondes , emmêlées.
Elle porta aussitôt une main dans sa chevelure , réalisant qu’elle sortait de son lit. Ce petit geste le fit sourire.
D’une façon si sûre de lui , si moqueuse , et à la fois si tendre qu’elle en eût le souffle coupé.

« Buffy, » murmura t –il en s’approchant , glissant un doigt le long de sa joue.

Elle redressa le menton et le toisa.
« Je ne te savais pas à Sunnydale, » déclara t –elle.

« Je n’y suis pas. »

A ces mots , une déception brutale la rendit muette. Elle voulu se donner une contenance et alla d’un pas énergique vers la petite cuisine , où elle s’affaira à préparer du café .
Il demeura silencieux , observant chacun de ses gestes. Elle passa prés de lui pour retourner au salon et se tint debout ,les bras croisés sur la poitrine.

Puis elle continua :

« Et que fais-tu ici , à ma porte , si .. soudainement ? »

« Cela fait un an qu’Angel est parti. Je crois que tu as eu assez de temps pour t’apitoyer sur ton sort , et comprendre que tu avais fais une erreur terrible en le choisissant, » dit-il d’une voix rauque , son visage à quelques centimètres du sien.

Elle ouvrit des yeux agrandis de surprise blessée.

« Comment.. comment oses -tu.. »

« J’ose parce qu’en ai le droit, » gronda t –il . « Mais ne t’inquiète pas , amour. C’est juste une …visite. »

Elle respirait avec précipitation. Elle pouvait voir les variations de couleur dans ses prunelles magnifiques.
Le grain de sa peau.
Son odeur boisée , mêlée à celle distincte du tabac.
Et ses lèvres.. étaient si prés. Ses lèvres à la ligne douce , tentatrice.

« Une visite ? » répéta t –elle d’une voix beaucoup indifférente qu ‘ elle ne l’était intérieurement.

« Oui.. Pour te prévenir que je suis de retour. Ou du moins que je le serai, très bientôt. »

Il mit une main sur le creux de sa taille , et elle en sentit la brûlure à travers la finesse de son vêtement. Il respirait lui aussi de façon erratique , et elle se dit qu’il cachait mal son trouble.
Pourquoi ne bougeait-elle pas ? Pourquoi acceptait-elle cette marque possessive de ses doigts qui palpaient la chair de sa hanche dans un mouvement hypnotique ?

« Et j’ai bien l’intention de reprendre la danse .. là où nous l’avions laissée. »


Il termina ces mots comme il aurait chuchoté un secret terrible.
Elle rougit et voulut se reculer , mais il resserra son étreinte , ferma brièvement les paupières en humant l’odeur unique de sa peau .

Ils restèrent ainsi ce qui parut à Buffy une éternité.

Ses jambes devenaient faibles et elle se raidit. Il portait le même parfum. Elle sentait son souffle contre son oreille.

« Amour.. » murmura t –il dans une voix de gorge qui l’éprouva profondément.

Elle se dégagea avec vivacité , mais à cet instant ,il était déjà loin d’elle , à la porte , qu’il ouvrit avec douceur.

« A très bientôt , mon cœur. » dit-il sans se retourner, et elle suivit sa démarche féline dans un état second.


La sonnerie qui la prévenait que le café était prêt fit entendre sa musique insistante. Elle alla l’éteindre avec brusquerie , les mains tremblant légèrement , le cœur battant avec une violence douloureuse.
Pourquoi cette sonnerie continuait-elle ?


Elle ouvrit les yeux. Un rayon de soleil parvenait , oblique , sur le couvre-lit , jusqu’à son oreiller. Ses mains agrippaient le drap. Elle avala avec difficulté , les paupières lourdes.

Son rêve avait été si vivant..


Elle se leva et rejeta les draps avec nervosité . Dans la cuisine baignée de lumière se répandait un délicieux arôme de café , mais les effluves du parfum de William lui semblaient flotter dans l’air.

Une fois qu’elle eût appuyé sur l’interrupteur de la machine , elle retourna s’asseoir sur son lit , et posa son visage entre ses paumes. Elle essaya de calmer sa respiration. Elle s’aperçut qu’elle tremblait légèrement.


Pourquoi avait-elle rêvé aujourd’hui de cet homme qui avait disparu de sa vie bien plus de quatre ans et demi auparavant ?



Tbc.





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