Chapître 38.


La matinée avait commencé sur un rythme soutenu . En ce Lundi , William avait prévenu Buffy qu’il avait deux réunions pour débuter et une autre dans l’après-midi. Elle se retrouvait seule pour travailler sur plusieurs modifications sur le script de la dernière émission , la plus longue . Et elle n’avait pas la concentration nécessaire pour cette tâche . Elle allait se décider à appeler John à la rescousse quand ce dernier frappa à la porte et entra aussitôt , fidèle à son habitude. Il avait revêtu un tee-shirt rigolo , et toujours son jean déchiré aux genoux. Ses longs cheveux venaient autour de son visage , lui donnant un air romantique .

« Buffy, » dit –il joyeusement. « Comment vas-tu ? »

Elle se leva pour venir à sa rencontre et l’embrasser sur la joue.
« Je vais merveilleusement bien, John. » lui dit –elle . « C’est toi qui avait raison. »

Il pouvait voir combien le visage de la jeune femme était empreint d’une lumière et d’un éclat que seul l’amour pouvait conférer. Elle irradiait , tout simplement. Il lui prit les mains .

« Tu es chaque jour plus radieuse. Et William est l’homme le plus chanceux de New Network. »

Elle lui fit un sourire magnifique , et dans ses yeux verts irisés dansèrent des flammes de joie.

« William est venu à la maison peu de temps après que je sois rentrée , et nous avons eu une explication.. satisfaisante. »

« Oui je l’ai trouvé qui partait à ta recherche quand je suis revenu à la société. Il était dans un état terrible. Je suis heureux de savoir que tout est clair entre vous. » dit –il affectueusement.
« Bon , raconte –moi tout ! » ajouta t –il en lui faisant signe de reprendre sa place derrière son bureau , tandis qu’il saisissait une chaise et s’installait à ses côtés .

Buffy s’assit , mais tourna vers lui un regard rieur. Cependant elle sentait ses joues devenir rouges.

« Il est hors de question que je rentre dans les détails de notre week-end, » assura t-elle en levant un doigt sévère vers lui.

« Oh , c’était à ce point scandaleux? » dit-il , la main sur la poitrine , haussant un sourcil interrogateur.

« Tu ne peux l'imaginer ! » répliqua Buffy du tac au tac.

« Quoi ? » s’exclama t –il , faisant mine d’être choqué. « Je t’en prie en effet , plus un mot ! »

Elle laissa son beau rire de perles cascader dans la pièce. Il la contempla avec attention et une admiration non déguisée. Il songeait à la jeune créature effacée et discrète , le regard noyé de tristesse , qu’il avait croisée il y a plusieurs mois déjà dans les couloirs de la chaîne. Sa beauté était là pourtant , et elle lui avait inspiré des sentiments de protection qui n’avaient cessé de se développer quand ils avaient commencé à être dans la même équipe.
Il n’avait jamais désiré le bien être et le bonheur de quelqu’un d’une manière aussi désintéressée : elle l’émouvait , le faisait sourire , et l’amitié qu’elle avait pour lui lui était un bien précieux.

« Encore que .. » murmura t –il , l’œil rêveur.

« John ! » dit –elle . « Tu es incorrigible ! Arrête tout de suite ces insinuations ! » demanda t –elle , les joues en feu.

Cette fois ce fut lui qui éclata de rire. « Bien , maintenant que tu m’as brisé le cœur officiellement , nous allons évoquer la vraie raison de ma visite, » soupira t –il .

Il jouait avec une expression de petit garçon venant d’être puni , et elle tombait dans son piège chaque fois.

« John, tu sais que tu comptes beaucoup pour moi , et que tu as été un réconfort merveilleux depuis la première minute où j’ai été l’assistante de William.. »

Il avait posé ses avant-bras sur ses genoux et se tenait la tête penchée , songeur, ses longues mèches masquant ses traits. En fait il cachait un sourire satisfait.
« John.. » Elle se rapprocha de lui et lui prit un poignet. Il leva alors vers elle son visage espiègle .

« Oh.. toi ! » dit-elle en lui donnant un coup de poing léger sur la poitrine.

« Aïe aïe.. ! » fit-il en mettant ses mains devant lui , faisant mine de vouloir se protéger. « Voilà le traitement que je récolte pour toute la tendresse que j’ai pour toi.. »

Elle déposa un autre baiser sur sa joue , et il eut une moue extatique. « C’est mieux ! » dit-il en fermant les paupières.

« Mon Dieu.. je ne sais pas si nous allons arriver à travailler efficacement ce matin, » reconnut-elle en soupirant d’aise. « J’allais t’appeler quand tu es arrivé. Je n’arrive à pas sélectionner les commentaires inutiles sur la dernière bande. Si tu as une heure à me consacrer ? »

« Oui je venais t’en parler. Je trouve préférable de le faire en ayant les images sous les yeux , et je me suis arrangé pour avoir le studio en début d’après –midi. Cà te va ? » demanda t –il en se levant.

Elle se pencha sur son planning . « Oui , pas de problème. Et où en êtes –vous pour la mise au point de l’ouvrage ? »

« Je dois proposer la nouvelle mise en page à Will , mais je ne sais pas à quelle heure je vais pouvoir l’attraper, j’ai l’impression qu’il sera insaisissable aujourd’hui. D’ailleurs tu connais le moment où il aura fini la réunion de ce matin ? »

Buffy se laissa aller dans son fauteuil en frottant sa nuque. « Non. Il ne m’en a pour ainsi dire pas touché un mot. J’ai vu sur son calendrier que c’était avec Francis Bensham , mais je n’en connais pas la raison. »

John fronça les sourcils , l’air préoccupé. « Quand on rencontre Francis c’est qu’il s’agit en général de quelque chose d’important. »

Elle tressaillit . « Si il y avait quoi que ce soit de grave , il m’en aurait parlé.. » murmura t –elle.

« Bon , je dois y aller , on m’attends dans le service comptabilité. Tu lui dis que je suis passé , que la maquette est prête , et s’il peut , il me téléphone.. mm okay ? »

« Entendu, » sourit –elle .
Il rouvrit la porte et lui fit un petit clin d’œil . « A plus tard. »

Buffy arrangea quelques dossiers autour d’elle , sans se sentir vraiment motivée. Puis la sonnerie du téléphone la sortit de sa rêverie éveillée. C’était William.

« Je voulais juste te dire que j’aimerais que nous déjeunions dehors aujourdh’ui, » commença t-il. « J’ai demandé un panier repas aux cuisiniers du restaurant.. Le temps est trop beau , qu’en penses –tu , amour ? »
Il avait une voix calme et enjouée. Et elle trouva que sa proposition était juste adorable. Le soleil brillait en effet généreusement dans un ciel sans nuage , et en ce début du mois de Juillet , la température avait retrouvé des valeurs d’été.

« Oui , c’est une bonne idée. Es-tu toujours en réunion ? » souffla t –elle.

« Oui , on fait juste une pause. Mais c’est pour ainsi dire terminé. Juste une ou deux choses à discuter. »

« Oh.. Et tu repasses au bureau ? » demanda t-elle , s’interrogeant toujours sur le motif de cette entrevue avec le directeur de la société.

« Non , je dois encore voir Sam. Mais je te promet que je ne serais pas en retard. Peux-tu te charger de récupérer notre repas , et aller nous trouver un endroit tranquille dans le parc ? » murmura t –il , le ton caressant.

« Oui , bien sûr . Mais où vas –tu me trouver ? » sourit –elle .

« Le parc n’est pas si grand. Et je pensais que nous pourrions nous asseoir sur le banc sous le plus grand érable ? »

Elle acquieca , et ils se donnèrent rendez –vous vers midi et quart.

Elle eut encore quelques appels concernant leur projet de livre sur la dernière émission , puis eut envie de descendre chercher un thé à la cafétéria. Il était onze heure passé et son petit- déjeuner lui semblait bien loin. Quand elle eut obtenu sa boisson sucrée , elle alla s’asseoir derrière les machines , à l’abri des regards . A cette heure , la salle était déserte. Perdue dans ses pensées , elle réalisa que depuis plusieurs semaines le rythme de travail était plus que soutenu, et qu’elle accueillait ses vacances avec grande satisfaction.. Elle n’avait fait aucun projet bien sûr , trop bouleversée par sa rencontre avec William. Elle pouvait toujours passer une semaine à Weymouth..

Elle perçut des bruits de voix et de rires étouffés . Deux jeunes femmes attendaient leur café et jetèrent un coup d’œil distrait à la silhouette assise plus loin , qui leur tournait le dos.

« Tu vois , c’est moi qui avais raison, » dit l’une. « Lawrence ne reste jamais au même endroit pendant un an.Il est arrivé en Février , et en Septembre il ne sera plus là. »

Buffy tressaillit à l’écoute de ces paroles. Mais elle ne tourna pas la tête. Elle avait reconnu la voix d’une secrétaire de direction. Sally ? Susie ?

« Pourquoi est-ce ce sont toujours les plus beaux qui ne font que passer ? » s’esclaffa t –elle.

« Je commençais à m’habituer à le voir déambuler dans les couloirs , avec ses yeux si bleus , les cheveux en désordre.. Mais je suppose que le poste de Montréal était une opportunité à ne pas manquer. »

« Oui , je suppose. Et puis c’est un autre challenge pour lui. Quitter momentanément le journalisme de terrain pour être éditorialiste.. »

Buffy était paralysée. Un désespoir sans nom lui comprimait la poitrine , et elle se rendit compte que ses mains tremblaient violemment . Elle ne comprenait pas ce qu’elle entendait. Elle savait seulement que chaque mot perçait son cœur.

« Oui , enfin , il ne quitte pas New Network . Il est juste détaché pendant cinq ou six mois.. »

Elles s’éloignèrent , et leurs chuchotements se dissipèrent . Buffy voulait se mettre debout , mais ses jambes refusaient d’obéir. Qu’est-ce que cela signifiait ? William avait obtenu un autre poste , à l’étranger ? Et il avait complètement omis de lui en parler ? Elle se souvint qu’une semaine auparavant il était rentré énervé et préoccupé d’une rencontre avec Francis Bensham. C’était déjà sans doute à ce propos.

Elle se força à respirer calmement , mais tout son corps était oppressé. Se redressant , elle se dirigea à pas lents vers le couloir , le visage baissé.
Comment pouvait –il envisager de quitter Londres pendant de longs mois ? Cette situation professionnelle était –elle si formidable qu’il n’avait pas hésité à accepter ? Et pourquoi , pourquoi ne lui en avait-il pas parlé , se torturait –elle .

Elle ne croisa guère de visages connus en remontant au neuvième étage , et même si son apparence était plus tranquille , intérieurement , elle brûlait et se débattait dans la plus profonde tristesse. Parvenue à leur bureau , elle vint se tenir devant la fenêtre.

Pensait –il qu’ils auraient à se séparer pendant cinq ou six mois , mais que cela serait une simple épreuve à passer ?
Au moment où elle avait compris la puissance des sentiments qui la liaient à lui , la vie allait -elle lui enlever ce qu’elle avait de plus précieux?
Elle éprouva un élancement si douloureux dans la gorge qu’elle dut réprimer un gémissement .
Elle décida brutalement d'aller voir Willow. Elle prit son gilet , enferma son sac dans un placard et quitta le bureau.
En arrivant à l'étage de la comptabilité , elle constata avec soulagement que Willow était seule devant son ordinateur.

"Buffy , çà fait plaisir que tu descendes!" s'exclama la jeune femme rousse. " Mais que se passe-t -il?" demanda t -elle aussitôt en voyant la mine pâle et tirée de son amie.

"Oh.. je viens juste d'apprendre que William serait nommé pour un nouveau poste à Montréal à partir de Septembre," répondit -elle dans un souffle en s'asseyant .

Willow vint faire le tour de son bureau et s'assit à ses côtés. Elle lui passa un bras affectueusement autour des épaules.
"Mais il y a certainement une explication à cela," dit -elle.
Buffy lui jeta un regard surpris et peiné.

" Pourquoi ne m'en a t -il pas parlé, Willow? Pourquoi garder cette décision secrète?"

"Eh bien.. je suppose qu'il voulait te faire la surprise," commença t -elle.
"La surprise?" s'écria Buffy d'un ton douloureux. "La surprise que nous soyons séparés pendant six mois , lui au Canada et moi ici?"

Willow soupira.
"Buffy.. ne me dis pas que tu penses sérieusement que William , le William qui vénère le sol où tu marches , l'homme qui est complètement fou d'amour pour toi , envisagerait de te faire un chagrin pareil?"

Buffy leva des yeux vulnérables et incertains vers elle.

"Je ne sais pas.. je ne comprends pas.. "
Elle baissa la tête vers ses mains serrées sur ses genoux.
"Je suis si heureuse à présent.. Je..." Elle s'interrompit , une émotion profonde lui brûlant la gorge. " Je l'aime si fort.. Je ne peux pas accepter de vivre séparée de lui.. Et si le travail doit nous forcer à envisager une situation aussi affreuse , je.."

Willow la serra plus fort.
"Buffy , je t'en prie. Tu ne sais rien .. Le vois-tu à midi?"
"Oui , nous déjeunons ensemble au parc. Il a pensé que nous serions bien dehors," ajouta t -elle avec un sourire tremblant.
"Alors tu attends qu'il t'explique tout lui-même. Et tout ira bien , j'en suis sûre!" affirma t-elle.

Buffy la regarda gentiment. " Tu dois me trouver ridicule , non ?"
"Pas ridicule.. Tu es encore effrayée de croire à ton bonheur , c'est tout," répliqua Willow avec une grande douceur. " Mais tu as mérité de connaître cet accord parfait entre deux êtres.. et je veux maintenant que tu me fasses un grand sourire!"
Buffy laissa échapper un soupir . " J'ai encore quelques minutes avant de descendre. Veux-tu entendre le récit de mes courses que j'ai faites Samedi avec William?"

Il y avait une lueur rêveuse dans ses beaux yeux , et Willow demanda: " Est-ce que cela aurait un quelconque caractère érotique?"
"Ecoute , et tu verras," murmura Buffy.

Et elle constata , à la fin de son récit , que la couleur du teint de Willow ressemblait fort à la couleur de sa chevelure..

Elles se dirent au-revoir en s'embrassant. Buffy se sentait un peu moins anxieuse en descendant vers le restaurant. Cependant , quand un homme aimable l’accueillit et lui tendit une sorte de corbeille visiblement bien remplie ., elle le remercia distraitement , l'esprit ailleurs.


Dans un état second elle traversa la rue , se retrouva devant le portillon de fer donnant accès à un endroit du square. Elle fit les quelques pas qui la séparaient du grand érable avec lenteur , comme si elle redoutait le moment où il lui faudrait s’asseoir à nouveau et écouter les palpitations effrayées de son cœur , se sentant à nouveau désemparée .
Quand elle songeait qu'elle devrait peut-être apprendre à vivre sans les attentions constantes de l'homme qu'elle aimait , elle refusait cette éventualité de toutes ses forces.


Le banc de bois était vide . Elle vint s’ y poser , doucement , tremblant , comme un oiseau à qui l’on aurait arraché les ailes.

Et là elle attendit que William , qui lui murmurait son amour si ardemment depuis plusieurs semaines, vienne lui faire connaître la vérité.


Tbc





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